Nana

Nana (paragraphe n°1063)

Chapitre V

Cependant, les artistes en paletot, le visage las, partaient un à un. Des groupes d'hommes et de femmes descendaient le petit escalier tournant, mettaient dans l'ombre des profils de chapeaux défoncés, de châles fripés, une laideur blême de cabotins qui ont enlevé leur rouge. Sur la scène, où l'on éteignait les portants et les herses, le prince écoutait une anecdote de Bordenave. Il voulait attendre Nana. Quand celle-ci parut enfin, la scène était noire, le pompier de service, achevant sa ronde, promenait une lanterne. Bordenave, pour éviter à Son Altesse le détour du passage des Panoramas, venait de faire ouvrir le couloir qui va de la loge de la concierge au vestibule du théâtre. Et c'était, le long de cette allée, un sauve-qui-peut de petites femmes, heureuses d'échapper aux hommes en train de poser dans le passage. Elles se bousculaient, serrant les coudes, jetant des regards en arrière, respirant seulement dehors ; tandis que Fontan, Bosc et Prullière se retiraient lentement, en blaguant la tête des hommes sérieux, qui arpentaient la galerie des Variétés, à l'heure où les petites filaient par le boulevard, avec des amants de cœur. Mais Clarisse surtout fut maligne. Elle se méfiait de la Faloise. En effet, il était encore là, dans la loge, en compagnie desmessieurs qui s'entêtaient sur les chaises de madame Bron. Tous tendaient le nez. Alors, elle passa raide, derrière une amie. Ces messieurs clignaient les paupières, ahuris par cette dégringolade de jupes tourbillonnant au pied de l'étroit escalier, désespérés d'attendre depuis si longtemps, pour les voir ainsi s'envoler toutes, sans en reconnaître une seule. La portée des chats noirs dormait sur la toile cirée, contre le ventre de la mère, béate et les pattes élargies ; pendant que le gros chat rouge, assis à l'autre bout de la table, la queue allongée, regardait de ses yeux jaunes les femmes se sauver.

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