Nana

Nana (paragraphe n°1098)

Chapitre VI

C'était bien le soir que Nana devait arriver à la Mignotte. Depuis que Steiner lui avait, au mois de mai, acheté cette maison de campagne, elle était prise de temps à autre d'une telle envie de s'y installer, qu'elle en pleurait ; mais, chaque fois, Bordenave refusait le moindre congé, la renvoyait à septembre, sous prétexte qu'il n'entendait pas la remplacer par une doublure, même pour un soir, en temps d'exposition. Vers la fin d'août, il parla d'octobre. Nana, furieuse, déclara qu'elle serait à la Mignotte le 15 septembre. Même, pour braver Bordenave, elle invitait en sa présence un tas de gens. Une après-midi, comme Muffat, à qui elle résistait savamment, la suppliait chez elle, secoué de frissons, elle promit enfin d'être gentille, mais là-bas ; et, à lui aussi, elle indiqua le 15. Puis, le 12, un besoin la prit de filer tout de suite, seule avec Zoé. Peut-être Bordenave,prévenu, allait-il trouver un moyen de la retenir. Cela l'égayait de le planter là, en lui envoyant un bulletin de son docteur. Quand l'idée d'arriver la première à la Mignotte, d'y vivre deux jours, sans que personne le sût, fut entrée dans sa cervelle, elle bouscula Zoé pour les malles, la poussa dans un fiacre, où, très attendrie, elle lui demanda pardon en l'embrassant. Ce fut seulement au buffet de la gare qu'elle songea à prévenir Steiner par une lettre. Elle le priait d'attendre le surlendemain pour la rejoindre, s'il voulait la retrouver bien fraîche. Et, sautant à un autre projet, elle fit une seconde lettre, où elle suppliait sa tante d'amener immédiatement le petit Louis. Ça ferait tant de bien à bébé ! et comme on s'amuserait ensemble sous les arbres ! De Paris à Orléans, en wagon, elle ne parla que de ça, les yeux humides, mêlant les fleurs, les oiseaux et son enfant, dans une soudaine crise de maternité.

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