Nana

Nana (paragraphe n°1217)

Chapitre VI

Le vendredi, au déjeuner, il avait fallu mettre un nouveau couvert. Monsieur Théophile Venot, que madame Hugon se souvint d'avoir invité l'hiver dernier, chez les Muffat, venait d'arriver. Il arrondissait le dos, il affectait une bonhomie d'homme insignifiant, sans paraître s'apercevoir de la déférence inquiète qu'on lui témoignait. Quand il eut réussi à se faire oublier, tout en croquant de petits morceaux de sucre au dessert, il examina Daguenet qui passait des fraises à Estelle, il écouta Fauchery dont une anecdote égayait beaucoup la comtesse. Dès qu'on le regardait, il souriait de son air tranquille. Au sortir de table, il prit le bras du comte, il l'emmena dans le parc. On savait qu'il gardait sur celui-ci une grande influence, depuis la mort de sa mère. Des histoires singulières couraient au sujet de la domination exercée dans la maison par l'ancien avoué. Fauchery, que son arrivée gênait sans doute, expliquait à Georges et à Daguenet les sources de sa fortune, un gros procès dont les Jésuites l'avaient chargé, autrefois ; et, selon lui, ce bonhomme, un terrible monsieur avec sa mine douce et grasse, trempait maintenant dans tous les tripotages de la prétraille. Les deux jeunes gens s'étaient mis à plaisanter, car ils trouvaient un air idiot au petit vieillard. L'idée d'un Venot inconnu, d'un Venot gigantesque, instrumentant pour le clergé, leur semblait une imagination comique. Mais ils se turent, lorsque le comte Muffat reparut, toujours au bras du bonhomme, très pâle, les yeux rouges comme s'il avait pleuré.

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