Nana

Nana (paragraphe n°1522)

Chapitre VIII

On avait tiré le gâteau des Rois. La fève était tombée à madame Lerat, qui la mit dans le verre de Bosc. Alors, ce furent des cris : " Le roi boit ! le roi boit ! " Nana profita de cet éclat de gaieté pour aller reprendre Fontan par le cou, en le baisant, en lui disant des choses dans l'oreille. Mais Prullière, avec son rire vexé de joli garçon, criait que ce n'était pas de jeu. Louiset dormait sur deux chaises. Enfin, la société ne se sépara que vers une heure. On se criait au revoir, à travers l'escalier.Et, pendant trois semaines, la vie des deux amoureux fut réellement gentille. Nana croyait retourner à ses débuts, quand sa première robe de soie lui avait causé un si gros plaisir. Elle sortait peu, jouant à la solitude et à la simplicité. Un matin, de bonne heure, comme elle descendait acheter elle-même du poisson au marché La Rochefoucauld, elle resta toute saisie de se rencontrer nez à nez avec Francis, son ancien coiffeur. Il avait sa correction habituelle, linge fin, redingote irréprochable ; et elle se trouva honteuse d'être vue par lui dans la rue, en peignoir, ébouriffée, traînant des savates. Mais il eut le tact d'exagérer encore sa politesse. Il ne se permit aucune question, il affectait de croire que madame était en voyage. Ah ! madame avait fait bien des malheureux, en se décidant à voyager ! C'était une perte pour tout le monde. La jeune femme, cependant, finit par l'interroger, prise d'une curiosité qui lui faisait oublier son premier embarras. Comme la foule les bousculait, elle le poussa sous une porte, où elle se tint debout devant lui, son petit panier à la main. Que disait-on de sa fugue ? Mon Dieu ! les dames où il allait disaient ceci, disaient cela ; en somme, un bruit énorme, un vrai succès. Et Steiner ? Monsieur Steiner était bien bas ; ça finirait par du vilain, s'il ne trouvait pas quelque nouvelle opération. Et Daguenet ? Oh ! celui-là allait parfaitement ; monsieur Daguenet arrangeait sa vie. Nana, que ses souvenirs excitaient, ouvrait la bouche pour le questionner encore ; mais elle éprouva une gêne à prononcer le nom de Muffat. Alors, Francis, souriant, parla le premier. Quant à monsieur le comte, c'était une pitié, tant il avait souffert, après le départ de madame ; il semblait une âme en peine, on le voyait partout où madame aurait pu être. Enfin,monsieur Mignon, l'ayant rencontré, l'avait emmené chez lui. Cette nouvelle fit beaucoup rire Nana, mais d'un rire contraint.

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