Nana

Nana (paragraphe n°2381)

Chapitre XI

Le soir, à Mabille, Nana obtint un succès colossal. Lorsqu'elle parut, vers dix heures, le tapage était déjà formidable. Cette classique soirée de folie réunissait toute la jeunesse galante, un beau monde se ruant dans une brutalité et une imbécillité de laquais. On s'écrasait sous les guirlandes de gaz ; des habits noirs, des toilettes excessives, des femmes venues décolletées, avec de vieilles robes bonnes à salir, tournaient, hurlaient, fouettés par une soûlerie énorme. A trente pas, on n'entendait plus les cuivres de l'orchestre. Personne ne dansait. Des mots bêtes, répétés on ne savait pourquoi, circulaient parmi les groupes. On se battait les flancs sans réussir à être drôle. Sept femmes, enfermées dans le vestiaire, pleuraient pour qu'on les délivrât. Une échalote trouvée et mise aux enchères était poussée jusqu'à deux louis. Justement, Nana arrivait, encore vêtue de sa toilette de course, bleue et blanche. On lui donna l'échalote, au milieu d'un tonnerre de bravos. On l'empoigna malgré elle, trois messieurs la portèrent en triomphe dans le jardin, à travers les pelouses saccagées, les massifs de verdure éventrés ; et, comme l'orchestre faisait obstacle, on le prit d'assaut, on cassa les chaises et les pupitres. Une police paternelle organisait le désordre.

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