Nana

Nana (paragraphe n°2786)

Chapitre XIII

Le soir de la rupture, Mignon se présenta avenue de Villiers. Il s'accoutumait à Fauchery, il finissait par trouver mille avantages dans la présence d'un mari chez sa femme, lui laissait les petits soins du ménage, se reposait sur lui pour une surveillance active, employaitaux dépenses quotidiennes de la maison l'argent de ses succès dramatiques ; et comme, d'autre part, Fauchery se montrait raisonnable, sans jalousie ridicule, aussi coulant que Mignon lui-même sur les occasions trouvées par Rose, les deux hommes s'entendaient de mieux en mieux, heureux de leur association fertile en bonheurs de toutes sortes, faisant chacun son trou côte à côte, dans un ménage où ils ne se gênaient plus. C'était réglé, ça marchait très bien, ils rivalisaient l'un l'autre pour la félicité commune. Justement, Mignon venait, sur le conseil de Fauchery, voir s'il ne pouvait pas enlever à Nana sa femme de chambre, dont le journaliste avait apprécié l'intelligence hors ligne ; Rose était désolée, elle tombait depuis un mois sur des filles inexpérimentées, qui la mettaient dans des embarras continuels. Comme Zoé le recevait, il la poussa tout de suite dans la salle à manger. Au premier mot, elle eut un sourire : impossible, elle quittait madame, elle s'établissait à son compte ; et elle ajouta, d'un air de vanité discrète, que chaque jour elle recevait des propositions, ces dames se la disputaient, madame Blanche lui avait fait un pont d'or pour la ravoir. Zoé prenait l'établissement de la Tricon, un vieux projet longtemps couvé, une ambition de fortune où allaient passer ses économies ; elle était pleine d'idées larges, elle rêvait d'agrandir la chose, de louer un hôtel et d'y réunir tous les agréments ; c'était même à ce propos qu'elle avait tâté d'embaucher Satin, une petite bête qui se mourait à l'hôpital, tellement elle se gâchait.

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