Nana

Nana (paragraphe n°61)

Chapitre I

Le comte échangea une poignée de main avec le journaliste, tandis qu'une vive explication avait lieu entre Blanche et Lucy. Elles bouchaient le passage de leurs jupes chargées de volants, l'une en bleu, l'autre en rose, et le nom de Nana revenait sur leurs lèvres, si aigu, que le monde les écoutait. Le comte de Vandeuvres emmena Blanche. Mais, à présent, comme un écho, Nana sonnait aux quatre coins du vestibule sur un ton plus haut, dans un désir accru par l'attente. On ne commençait donc pas ? Les hommes tiraient leurs montres, des retardataires sautaient de leurs voitures avant qu'elles fussent arrêtées, des groupes quittaient le trottoir, où les promeneurs, lentement, traversaient la nappe de gaz restée vide, en allongeant le cou pour voir dans le théâtre. Un gamin qui arrivait en sifflant se planta devant une affiche, à la porte ; puis, il cria : " Ohé, nana ! " d'une voix de rogormne, et poursuivit son chemin, déhanché, traînantses savates. Un rire avait couru. Des messieurs très bien répétèrent : " Nana, ohé ! Nana ! " On s'écrasait, une querelle éclatait au contrôle, une clameur grandissait, faite du bourdonnement des voix appelant, exigeant Nana, dans un de ces coups d'esprit bête et de brutale sensualité qui passent sur les foules.

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