Nana

Nana (paragraphe n°800)

Chapitre IV

Le jour allait paraître. Nana détourna les yeux de la porte, perdant espoir. On s'ennuyait à crever. Rose Mignon avait refusé de chanter la Pantoufle, pelotonnée sur un canapé, où elle causait bas avec Fauchery, en attendant Mignon qui gagnait déjà une cinquantaine de louis à Vandeuvres. Un monsieur gras, décoré et de mine sérieuse, venait bien de réciter le Sacrifice d'Abraham, en patois d'Alsace ; quand Dieu jure, il dit : " Sacré nom de moi ! " et Isaac répond toujours : " Oui, papa ! " Seulement, personne n'ayant compris, le morceau avait paru stupide. On ne savait que faire pour être gai, pour finir follement la nuit. Un instant, Labordette imagina de dénoncer les femmes à l'oreille de la Faloise, qui allait rôder autour de chacune, regardant si elle n'avait pas son mouchoir dans le cou. Puis, comme des bouteilles de champagne restaient sur le buffet, les jeunes gens s'étaient remis à boire. Ils s'appelaient, s'excitaient ; mais une ivresse morne, d'une bêtise à pleurer, envahissait le salon, invinciblement. Alors, le petit blondin, celui qui portait un des grands noms de France, à bout d'invention, désespéré de ne rien trouverde drôle, eut une idée : il emporta sa bouteille de champagne et acheva de la vider dans le piano. Tous les autres se tordirent.

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