Pot-Bouille

Pot-Bouille (paragraphe n°1635)

Chapitre X

C'était au Café anglais que l'oncle Bachelard avait invité Duveyrier, sans qu'on sût pourquoi, peut-être pour le plaisir de traiter un conseiller à la cour, et de lui montrer comment on savait dépenser l'argent, dans le commerce. Il avait amené en outre Trublot et Gueulin, quatre hommes et pas de femmes, car les femmes nesavent pas manger : elles font du tort aux truffes, elles gâtent la digestion. Du reste, on connaissait l'oncle sur toute la ligne des boulevards pour ses dîners fastueux, quand un client tombait chez lui du fond de l'Inde ou du Brésil, des dîners à trois cents francs par tête, dans lesquels il soutenait noblement l'honneur de la commission française. Une rage de dépense le prenait, il exigeait tout ce qu'il y avait de plus cher, des curiosités gastronomiques, même immangeables, des sterlets du Volga, des anguilles du Tibre, des grouses d'Ecosse, des outardes de Suède, des pattes d'ours de la Forêt-Noire, des bosses de bison d'Amérique, des navets de Teltow, des courgerons de Grèce' ; et c'étaient encore des primeurs extraordinaires, des pêches en décembre et des perdreaux en juillet, puis un luxe de fleurs, d'argenterie, de cristaux, un service qui mettait le restaurant en l'air ; sans parler des vins, pour lesquels il faisait bouleverser la cave, réclamant des crus inconnus, n'estimant rien d'assez vieux, d'assez rare, rêvant des bouteilles uniques à deux louis le verre.

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