Pot-Bouille

Pot-Bouille (paragraphe n°2157)

Chapitre XIII

Pendant ce temps, Berthe se glissait dans l'escalier de service. Elle avait deux étages à descendre. Dès la première marche, un rire aigu qui sortait de la cuisine de madame Juzeur, au-dessous, l'arrêta ; et, tremblante, elle se tint près de la fenêtre du palier, grande ouverte sur l'étroite cour. Alors, des voix éclatèrent, le flot des ordures du matin montait, dégorgeait du boyau empesté. C'étaient les bonnes qui, furieusement, empoignaient la petite Louise, en l'accusant d'aller les regarder par le trou de la serrure, dans leur chambre, quand elles se couchaient. Pas quinze ans, une morveuse, quelque chose de propre ! Louise riait, riait plus fort. Elle ne niait pas, elle connaissait le derrière d'Adèle, oh ! non, fallait voir ça ! Lisa était rien maigre, Victoire avait un ventre crevé comme un vieux tonneau. Et, pour la faire taire, toutes redoublaient de mots abominables. Puis, ennuyées d'avoir été déshabillées ainsi, les unes devant les autres, tourmentées du besoin de se défendre, elles se vengèrent sur leurs dames, en les déshabillant à leur tour. Merci ! Lisa avait beau être maigre, elle ne l'était pas au point de l'autre madame Campardon, une jolie peau de requin, unvrai régal d'architecte ; Victoire se contentait de souhaiter à toutes les Vabre, les Duveyrier et les Josserand du monde, un ventre aussi bien conservé que le sien, si elles atteignaient son âge ; quand à Adèle, elle n'aurait bien sûr pas donné son derrière pour ceux des demoiselles de madame, des machines de rien du tout ! Et Berthe, immobile, effarée, recevait au visage la vidure des cuisines, n'ayant jamais soupçonné cet égout, surprenant pour la première fois le linge sale de la domesticité, à l'heure où les maîtres se débarbouillent.

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