Pot-Bouille

Pot-Bouille (paragraphe n°2217)

Chapitre XIII

Madame Juzeur, cependant, pleurait avec ce mignon, mourant d'amour, qui ne pouvait voir la dame ; et elle lui prodiguait les plus sages conseils. Les désirs d'Octave en vinrent au point qu'un jour il songea à la supplier de lui prêter son appartement ; sans doute elle n'aurait pas refusé, mais il craignit de révolter Berthe, en avouant ses indiscrétions. Il avait bien projeté également d'utiliser Saturnin ; peut-être le fou les garderait-il ainsi qu'unchien fidèle, dans quelque chambre perdue ; seulement, il montrait des humeurs fantasques, tantôt accablant de caresses gênantes l'amant de sa sœur, tantôt le boudant, lui jetant des regards soupçonneux, allumés d'une brusque haine. On aurait dit des accès de jalousie, toute une jalousie nerveuse et violente de femme. Il la lui témoignait surtout depuis qu'il le trouvait parfois le matin, chez la petite Pichon, en train de rire. Maintenant, en effet, Octave ne passait plus devant la porte de Marie sans entrer, repris d'un singulier goût, d'un coup de passion, qu'il ne s'avouait même pas ; il adorait Berthe, il la désirait follement, et dans ce besoin de l'avoir, renaissait pour l'autre une tendresse infinie, un amour dont il n'avait jamais éprouvé la douceur, au temps de leur liaison. C'était un charme continuel à la regarder, à la toucher, des plaisanteries, des taquineries, les jeux de main d'un homme qui voudrait reprendre une femme, avec la secrète gêne d'aimer ailleurs. Et, ces jours-là, quand Saturnin le surprenait pendu aux jupes de Marie, il le menaçait de ses yeux de loup, prêt à mordre, ne lui pardonnant, ne revenant lui baiser les doigts, en bête soumise, que lorsqu'il le revoyait auprès de Berthe, fidèle et tendre.

?>