Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°1016)

Chapitre VI

Cependant, l'oisiveté pesait terriblement à ses muscles de lutteur. S'il avait osé, il aurait saisi une bêche pour défoncer un coin de son jardin. Il entreprit un long travail, l'étude comparée de la Constitution anglaise et de la Constitution impériale de 1852 ; il s'agissait, en tenant compte de l'histoire et des mœurs politiques des deux peuples, de prouver que la liberté était tout aussi grande en France qu'en Angleterre. Puis, quand il eut amassé les documents, quand le dossier fut complet, il dut faire un effort considérable pour prendre la plume ; volontiers, il aurait plaidé la chose devant la Chambre ; mais la rédiger, écrire un ouvrage, avec le souci des phrases, lui paraissait une besogne d'une difficulté énorme, sans utilité immédiate. Le style l'avait toujours embarrassé ; aussi le tenait-il en grand dédain. Il ne dépassa pas la dixième page. D'ailleurs il laissa traîner sur son bureau le manuscrit commencé, bien qu'il n'y ajoutât pas vingt lignes par semaine. Chaque fois qu'on le questionnait sur ses occupations, il répondait en expliquant son idée tout au long, et en donnant à l'œuvre une portée immense. C'était l'excuse derrière laquelle il cachait le vide abominable de ses journées.

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