Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°1019)

Chapitre VI

Le jeudi de juillet qui suivit, cette année-là, les élections générales toute la bande se trouvait réunie dans le salon, dès huit heures. Ces dames, madame Bouchard, madame Charbonnel, madame Correur, assises près d'une fenêtre ouverte, pour respirer les rares bouffées d'air venues de l'étroit jardin, formaient un rond, au milieuduquel monsieur d'Escorailles racontait ses fredaines de Plassans, lorsqu'il allait passer douze heures à Monaco, sous le prétexte d'une partie de chasse, chez un ami. Madame Rougon, en noir, à demi cachée derrière un rideau, n'écoutait pas, se levait doucement, disparaissait pendant des quarts d'heure entiers. Il y avait encore avec les dames monsieur Charbonnel, posé au bord d'un fauteuil, stupéfait d'entendre un jeune homme comme il faut avouer de pareilles aventures. Au fond de la pièce, Clorinde était debout, prêtant une oreille distraite à une conversation sur les récoltes, engagée entre son mari et monsieur Béjuin. Vêtue d'une robe écrue, très chargée de rubans paille, elle tapait à petits coups d'éventail la paume de sa main gauche, en regardant fixement le globe lumineux de l'unique lampe qui éclairait le salon. A une table de jeu, dans la clarté jaune, le colonel et monsieur Bouchard jouaient au piquet ; tandis que Rougon, sur un coin du tapis vert, faisait des réussites, relevant les cartes d'un air grave et méthodique, interminablement. C'était son amusement favori, le jeudi et le dimanche, une occupation qu'il donnait à ses doigts et à sa pensée.

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