Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°1077)

Chapitre VI

On se fâcha. C'était abominable, cette façon d'envisager la politique. Il y avait, dans la politique, autre chose que des intérêts personnels. Le colonel lui-même et monsieur Bouchard, bien qu'ils ne fussent pas bonapartistes, reconnaissaient qu'il pouvait exister des bonapartistes de bonne foi ; et ils parlaient de leurs propres convictions, avec un redoublement de chaleur, comme si on avait voulu les leur arracher de vive force. Quant à Delestang, il était très blessé ; il répétait qu'on ne l'avait pas compris, il indiquait par quels points considérables il s'éloignait des partisans aveugles de l'Empire ; ce qui l'entraîna dans de nouvelles explications sur les développements démocratiques dont le gouvernement de l'empereur lui paraissait susceptible. Monsieur Béjuin, lui non plus, pas plus d'ailleurs que monsieur d'Escorailles, n'acceptèrent d'être des bonapartistes tout court ; ils établissaient des nuancesénormes, se cantonnaient chacun dans des opinions particulières, difficiles à définir ; si bien qu'au bout de dix minutes toute la société était passée à l'opposition. Les voix se haussaient, des discussions partielles s'engageaient, les mots de légitimiste, d'orléaniste, de républicain, volaient, au milieu des professions de foi vingt fois répétées. Madame Rougon se montra un instant, sur le seuil d'une porte, l'air inquiet ; puis, doucement, elle disparut de nouveau.

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