Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°2245)

Chapitre XI

Le Conseil des ministres se tenait dans un salon voisin du cabinet de l'empereur. Au milieu, une douzaine de fauteuils entouraient une grande table, recouverte d'un tapis. Les fenêtres, hautes et claires, donnaient sur la terrasse du château. Quand Rougon et Delestang entrèrent, tous leurs collègues se trouvaient déjà réunis, àl'exception du ministre des Travaux publics et du ministre de la Marine et des Colonies, alors en congé. L'empereur n'avait pas encore paru. Ces messieurs causèrent pendant près de dix minutes, debout devant les fenêtres, groupés autour de la table. Il y en avait deux de visages chagrins, qui se détestaient au point de ne jamais s'adresser la parole ; mais les autres, la mine aimable, se mettaient à l'aise, en attendant les affaires graves. Paris s'occupait alors de l'arrivée d'une ambassade venue du fond de l'Extrême-Orient, avec des costumes étranges et des façons de saluer extraordinaires. Le ministre des Affaires étrangères raconta une visite qu'il avait rendue, la veille, au chef de cette ambassade ; il se moquait finement, tout en restant très correct. Puis, la conversation tomba à des sujets plus frivoles ; le ministre d'Etat fournit des renseignements sur la santé d'une danseuse de l'Opéra, qui avait failli se casser la jambe. Et même dans leur abandon, ces messieurs demeuraient en éveil et en défiance, cherchant certaines de leurs phrases, rattrapant des moitiés de mot, se guettant sous leurs sourires, redevenant subitement sérieux, dès qu'ils se sentaient surveillés.

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