Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°2387)

Chapitre XII

Pour le moment, au milieu du débraillé de ses occupations multiples, ce qui la passionnait, c'était une affaire de la plus haute gravité, dont elle s'efforçait de ne point parler, sans pouvoir, cependant, se refuser la joie de certaines allusions. Elle voulait Venise. Quand elle parlait du grand ministre italien, elle disait : " Cavour ", d'une voix familière. Elle ajoutait : " Cavour ne voulait pas, mais j'ai voulu, et il a compris. " Elle s'enfermait matin et soir avec le chevalier Rusconi, à la légation. D'ailleurs, " l'affaire " marchait très bien maintenant. Et, tranquille, renversant son front borné de déesse, parlant dans une sorte de somnambulisme, elle laissait tomber des bouts de phrase sans lien entre eux, des lambeaux d'aveu : une entrevue secrète entre l'empereur et un homme d'Etat étranger, un projet de traité d'alliance dont on discutait encore certains articles une guerre pour le printemps prochain. D'autres jours, elle était furieuse ; elle donnait des coups de pied aux chaises, dans sa chambre, et bousculait les cuvettes de son cabinet, à les casser ; elle avait une colère de reine, trahie par des ministres imbéciles, qui voit son royaume aller de mal en pis. Ces jours-là, elle tendait tragiquement son bras nu et superbe, le poing fermé, vers le sud-est, du côté del'Italie, en répétant : " Ah ! si j'étais là-bas, ils ne feraient pas tant de bêtises ! "

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