Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°2604)

Chapitre XIII

Le buffet, également sablé, orné aux angles de plantes vertes, était garni de petites tables rondes et de chaises cannées. On avait tâché d'imiter un vrai café, pour plus de piquant. Au fond, au comptoir monumental, trois dames s'éventaient, en attendant les commandes des consommateurs. Devant elles, des carafons de liqueurs, des assiettes de gâteaux et de sandwichs, des bonbons, des cigares et des cigarettes, faisaient un étalage louche de bal public. Et, par moments, la dame du milieu, une comtesse brune et pétulante, se levait, se penchait pour verser un petit verre, ne se reconnaissant plus au milieu de cette débandade de carafons, manœuvrant ses bras nus au risque de tout casser. Mais Clorinde régnait au buffet. C'était elle qui servait le public des tables. On eût dit Junon fille de brasserie. Elle portait une robe de satin jaune, coupée de biais de satin noir, aveuglante, extraordinaire, un astre dont la traîne ressemblait à une queue de comète. Décolletée très bas, le buste libre, ellecirculait royalement entre les chaises cannées, promenant des chopes sur des plateaux de métal blanc, avec une tranquillité de déesse. Elle frôlait les épaules des hommes de ses coudes nus, se baissait, le corsage ouvert, pour prendre les ordres, répondait à tous, sans se presser, souriante, très à l'aise. Quand les consommations étaient bues, elle recevait dans sa main superbe les pièces blanches et les sous, qu'elle jetait d'un geste déjà familier au fond d'une aumônière pendue à sa ceinture.

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