Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°279)

Chapitre II

Alors, tout d'un coup, Rougon se calma. Sa face redevint grise, son corps s'avachit dans une lourdeur d'homme obèse. Il se mit à faire l'éloge de l'empereur, d'une façon outrée : c'était une puissante intelligence, un esprit d'une profondeur incroyable. Du Poizat et monsieur Kahn échangèrent un coup d'œil. Mais Rougon renchérissait encore, en parlant de son dévouement, en disant avec une grande humilité qu'il avait toujours été fier d'être un simple instrument aux mains de Napoléon III. Il finit même par impatienter Du Poizat, garçon d'une vivacité fâcheuse. Et une querelle s'engagea. Du Poizat parlait amèrement de tout ce que Rougon et lui avaient fait pour l'Empire, de 1848 à 1851, lorsqu'ils crevaient la faim, chez madame Mélanie Correur. Il racontait des journées terribles, pendant la première année surtout, des journées passées à patauger dans la boue de Paris, pour racoler des partisans. Plus tard, ils avaient risqué leur peau vingt fois. N'était-ce pas Rougon qui, le matin du 2 Décembre, s'était emparé du Palais-Bourbon, à la tête d'un régiment de ligne ? A ce jeu, on jouait sa tête. Et, aujourd'hui, on le sacrifiait, victime d'une intrigue de cour. Mais Rougon protestait ; il n'était pas sacrifié ; il se retirait pour des raisons personnelles. Puis, comme Du Poizat, tout à fait lancé, traitait les gens des Tuileries de " cochons ", il finit par le faire taire, en assenant un coup de poing sur le bureau de palissandre, qui craqua.

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