Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°675)

Chapitre IV

Quand la demie sonna, il y avait du monde partout. Le long des trottoirs, des files interminables de curieux, écrasés contre les parapets, stationnaient. Une mer de têtes humaines, aux flots toujours montants, emplissait laplace de l'Hôtel-de-Ville. En face, les vieilles maisons du quai Napoléon, dans les vides noirs de leurs fenêtres grandes ouvertes, entassaient des visages ; et même, du fond des ruelles sombres bâillant sur la rivière, la rue Colombe, la rue Saint-Landry, la rue Glatigny, des bonnets de femme se penchaient, avec leurs brides envolées par le vent. Le pont Notre-Dame envahi montrait une rangée de spectateurs, les coudes appuyés sur la pierre, comme sur le velours d'une tribune colossale. A l'autre bout, tout là-bas, le pont Louis-Philippe s'animait d'un grouillement de points noirs ; pendant que les croisées les plus lointaines, les petites raies qui trouaient régulièrement les façades jaunes et grises du cap de maisons, à la pointe de l'île, s'éclairaient par instants de la tache claire d'une robe. Il y avait des hommes debout sur les toits, parmi les cheminées. Des gens qu'on ne voyait pas regardaient dans des lunettes, du haut de leurs terrasses, quai de la Tournelle. Et le soleil oblique, largement épandu, semblait le frisson même de cette foule ; il roulait le rire ému de la houle des têtes ; des ombrelles voyantes, tendues comme des miroirs, mettaient des rondeurs d'astre, au milieu du bariolage des jupes et des paletots.

?>