Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°745)

Chapitre IV

Un rire courut dans la foule, autour de lui. Monsieur Charbonnel, qui n'avait pas compris, voulut se faire donner des explications. Mais on ne s'entendait plus, un vivat assourdissant montait, les trois cent mille personnes qui s'écrasaient là battaient des mains. Quand le petit prince était arrivé au milieu du pont, et qu'on avait vu paraître derrière lui l'empereur et l'impératrice, dans ce large espace découvert où rien ne gênait la vue, une émotion extraordinaire s'était emparée des curieux. Il y avait eu un de ces enthousiasmes populaires, tout nerveux, roulant les têtes comme sous un coup de vent, d'un bout d'une ville à l'autre. Les hommes se haussaient, mettaient des bambins ébahis à califourchon sur leur cou ; les femmes pleuraient, balbutiant des paroles de tendresse pour le " cher petit ", partageant avec des mots du cœur la joie bourgeoise du couple impérial. Une tempête de cris continuait à sortir de la place de l'Hôtel-de-Ville ; sur les quais, des deux côtés, en amont, en aval, aussi loin que le regard pouvait aller, on apercevait une forêt de bras tendus, s'agitant, saluant. Aux fenêtres, des mouchoirs volaient, des corps se penchaient, le visage allumé, avec le trou noir de la bouche grande ouverte. Et, tout là-bas, les fenêtres de l'île Saint-Louis, étroites comme de minces traits de fusain, s'animaient d'un pétillement de lueurs blanches, d'une vie qu'on ne distinguait pas nettement. Cependant, l'équipe des canotiers en vareuses rouges, debout au milieu de la Seine qui les emportait, vociféraient à pleine gorge ;pendant que les blanchisseuses, à demi sorties des vitrages du bateau, les bras nus, débraillées, affolées, voulant se faire entendre, tapaient furieusement leurs battoirs, à les casser.

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