Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°1176)

Partie : Partie 3, chapitre II

Pourtant, à chaque minute, leurs cœurs se fondaient davantage l'un dans l'autre. Ils ne vivaient plus que de la même pensée. Dès qu'il arrivait, il apprenait, en la regardant, de quelle façon Jeanne avait passé la nuit, et il n'avait pas besoin de parler pour qu'elle sût comment il trouvait la malade. D'ailleurs, avec son beau courage de mère, elle lui avait fait jurer de ne pas la tromper, de dire ses craintes. Toujours debout, n'ayant pas dormi trois heures de suite en vingt nuits, elle montrait une force et une tranquillité surhumaines, sans une larme, domptant son désespoir pour garder sa tête dans cette lutte contre la maladie de son enfant. Il s'était produit un vide immense en elle et autour d'elle, où le monde environnant, ses sentiments de chaque heure, la conscience même de sa propre existence, avaient sombré. Rien n'existait plus. Elle ne tenait à la vie que par cette chère créature agonisante et cet homme qui lui promettait un miracle. C'était lui, et lui seul, qu'elle voyait, qu'elle entendait, dont les moindres mots prenaient une importance suprême, auquel elle s'abandonnait sans réserve, avec le rêve d'être en lui pour lui donner de sa force. Sourdement, invinciblement, cette possession s'accomplissait. Lorsque Jeanne traversait une heure de danger, presque chaque soir, à ce moment où la fièvre redoublait, ils étaient là, silencieux et seuls, dans la chambre moite ; et, malgré eux, comme s'ils avaient voulu se sentir deux contre la mort, leurs mains se rencontraient au bord du lit, une longue étreinte lesrapprochait, tremblants d'inquiétude et de pitié, jusqu'à ce qu'un faible soupir de l'enfant, une haleine apaisée et régulière, les eût avertis que la crise était passée. Alors, d'un hochement de tête, ils se rassuraient. Cette fois encore, leur amour avait vaincu. Et chaque fois leur étreinte devenait plus rude, ils s'unissaient plus étroitement.

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