Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°1430)

Partie : Partie 3, chapitre IV

A partir de ce jour, Jeanne mit une obstination à descendre dans le jardin, dès qu'elle y entendait la voix de madame Deberle. Elle écoutait avidement les cancans de Rosalie sur le petit hôtel voisin, s'inquiétant de la vie qu'on y menait, s'échappant de la chambre parfois et venant elle-même guetter à la fenêtre de la cuisine. En bas, enfoncée dans un petit fauteuil que Juliette lui faisait apporter du salon, elle paraissait surveiller la famille, réservée avec Lucien, impatiente de ses questions et de ses jeux, surtout lorsque le docteur était là. Alors, elle s'allongeait, comme lasse, les yeux ouverts, regardant. C'était pour Hélène une grande souffrance que ces après-midi. Elle revenait pourtant, elle revenait malgré lesrévoltes de tout son être. Chaque fois qu'Henri, à son retour, mettait un baiser sur les cheveux de Juliette, elle avait un élancement au cœur. Et, à ces moments-là, si, pour cacher son visage bouleversé, elle feignait de s'occuper de Jeanne, elle trouvait l'enfant plus pâle qu'elle, avec ses yeux noirs grands ouverts, le menton convulsé d'une colère contenue. Jeanne endurait ses tourments. Les jours où sa mère, à bout de force, agonisait d'amour en détournant les yeux, elle-même restait si sombre et si brisée, qu'il fallait la remonter et la coucher. Elle ne pouvait plus voir le docteur s'approcher de sa femme sans changer de visage, frémissante, le poursuivant du regard enflammé d'une maîtresse trahie.

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