Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°1884)

Partie : Partie 4, chapitre IV

Elle le fit asseoir d'un geste. C'était aux bains de mer, à Trouville, que Malignon, ennuyé par la vue de l'Océan, avait eu la belle idée de tomber amoureux. Depuis trois années déjà, ils vivaient dans une familiarité querelleuse. Un soir, il lui prit la main. Elle ne se fâcha pas, plaisanta d'abord. Puis, la tête vide, le cœur libre, elle s'imaginaqu'elle l'aimait. Jusqu'à ce jour, elle avait à peu près fait tout ce que faisaient ses amies, autour d'elle ; mais une passion lui manquait, la curiosité et le besoin d'être comme les autres la poussèrent. Dans les commencements, si le jeune homme s'était montré brutal, elle aurait infailliblement succombé. Il eut la fatuité de vouloir vaincre par son esprit, il la laissa s'habituer au jeu de coquette qu'elle jouait. Aussi, dès sa première violence, une nuit qu'ils regardaient la mer ensemble, comme des amants d'opéra-comique, l'avait-elle chassé, étonnée, irritée de ce qu'il dérangeait ce roman dont elle s'amusait. A Paris, Malignon s'était juré d'être plus habile. Il venait de la reprendre dans une période d'ennui, à la fin d'un hiver fatigant, lorsque les plaisirs connus, les dîners, les bals, les premières représentations, commençaient à la désoler par leur monotonie. L'idée d'un appartement meublé tout exprès dans un quartier perdu, le mystère d'un pareil rendez-vous, la pointe d'odeur suspecte qu'elle flairait, l'avaient séduite. Cela lui semblait original, il fallait bien tout voir. Et elle avait, au fond d'elle, un si beau calme, qu'elle n'était guère plus troublée chez Malignon que chez les peintres où elle montait quêter des toiles pour ses ventes de charité.

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