Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°1976)

Partie : Partie 4, chapitre V

L'air était doux, d'une douceur humide, qui lui semblait très bonne. Une ombre, peu à peu étendue sur l'horizon, lui fit lever la tête. Elle avait, au-dessus d'elle, la sensation d'un oiseau géant, les ailes élargies. D'abord, elle ne vit rien, le ciel restait clair ; mais une tache sombre se montra à l'angle de la toiture, déborda, envahit le ciel. C'était un nouveau grain poussé par un terrible vent d'ouest. Le jour avait baissé rapidement, la ville était noire, dans une lueur livide qui donnait aux façades un ton de vieille rouille. Presque aussitôt la pluie tomba. Les chaussées furent balayées. Des parapluies se retournèrent, des promeneurs, fuyant de tous côtés, disparurent comme des pailles. Une vieille dame tenait à deux mains ses jupons, tandis que l'averse s'abattait sur son chapeau avec une raideur de gouttière. Et la pluie marchait, on pouvait suivre le vol du nuage à la course furieuse de l'eau vers Paris : la barre des grosses gouttesenfilait les avenues des quais, dans un galop de cheval emporté, soulevant une poussière, dont la petite fumée blanche roulait au ras du sol avec une vitesse prodigieuse ; elle descendait les Champs-Elysées, s'engouffrait dans les longues rues droites du quartier Saint-Germain, emplissait d'un bond les larges étendues, les places vides, les carrefours déserts. En quelques secondes, derrière cette trame de plus en plus épaisse, la ville pâlit, sembla se fondre. Ce fut comme un rideau tiré obliquement du vaste ciel à la terre. Des vapeurs montaient, l'immense clapotement avait un bruit assourdissant de ferrailles remuées.

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