Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°2117)

Partie : Partie 5, chapitre II

Cependant, un après-midi, le vieux docteur Bodin, qui montait en ami de la maison, avait fait traîner sa visite, préoccupé, étudiant Jeanne du coin de ses petits yeux bleus. Il l'interrogeait en ayant l'air de jouer avec elle. Ce jour-là, il ne dit rien. Mais, deux jours après, il reparut ; et, cette fois, sans examiner Jeanne, avec la gaieté d'un vieillard qui a vu beaucoup de choses, il mit la conversation sur les voyages. Autrefois, il avait servi comme chirurgien militaire ; il connaissait toute l'Italie. C'était un pays superbe qu'il fallait admirer au printemps. Pourquoi madame Grandjean n'y menait-elle pas sa fille ?Il en vint ainsi, après d'habiles transitions, à conseiller un séjour là-bas, au pays du soleil, comme il le disait. Hélène le regardait fixement. Alors, il se récria ; ni l'une ni l'autre n'était malade, certes seulement, cela rajeunissait de changer d'air. Elle était devenue toute blanche, prise d'un froid mortel, à la pensée de quitter Paris. Mon Dieu ! s'en aller si loin, si loin ! perdre Henri tout d'un coup, laisser leurs amours sans lendemain ! c'était en elle un tel déchirement, qu'elle se pencha vers Jeanne, pour cacher son trouble. Est-ce que Jeanne voulait partir ? L'enfant avait noué frileusement ses petits doigts. Oh ! oui, elle voulait bien ! Elle voulait bien aller dans du soleil, toutes seules, elle et sa mère, oh ! toutes seules ; et sur sa pauvre figure maigrie, dont la fièvre brûlait les joues, l'espoir d'une vie nouvelle rayonnait. Mais Hélène n'écoutait plus, révoltée et méfiante, persuadée maintenant que tout le monde s'entendait, l'abbé, le docteur Bodin, Jeanne elle-même, pour la séparer d'Henri. En la voyant si blême, le vieux médecin crut qu'il avait manqué de prudence ; il se hâta de dire que rien ne pressait, décidé à revenir sur cet entretien.

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