Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°2395)

Partie : Partie 5, chapitre V

Cependant, le vent cessait. Monsieur Rambaud s'était avancé sur la terrasse, pour la laisser à la douleur muette de ses souvenirs. Une brume s'élevait des lointains de Paris, dont l'immensité s'enfonçait dans le vague blafard de cette nuée. Au pied du Trocadéro, la ville couleur de plomb semblait morte, sous la tombée lente des derniersbrins de neige. C'était, dans l'air devenu immobile, une moucheture pâle sur les fonds sombres, filant avec un balancement insensible et continu. Au-delà des cheminées de la Manutention, dont les tours de brique prenaient le ton du vieux cuivre, le glissement sans fin de ces blancheurs s'épaississait, on aurait dit des gazes flottantes, déroulées fil à fil. Pas un soupir ne montait, de cette pluie du rêve, enchantée en l'air, tombant endormie et comme bercée. Les flocons paraissaient ralentir leur vol, à l'approche des toitures ; ils se posaient un à un, sans cesse, par millions, avec tant de silence, que les fleurs qui s'effeuillent font plus de bruit ; et un oubli de la terre et de la vie, une paix souveraine venait de cette multitude en mouvement, dont on n'entendait pas la marche dans l'espace. Le ciel s'éclairait de plus en plus, partout à la fois, d'une teinte laiteuse, que des fumées troublaient encore. Peu à peu, les îlots éclatants des maisons se détachaient, la ville apparaissait à vol d'oiseau, coupée de ses rues et de ses places, dont les tranchées et les trous d'ombre dessinaient l'ossature géante des quartiers.

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