Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°596)

Partie : Partie 2, chapitre 1

Un jour, il arriva avec un nid plein d'œufs, qu'il avait placé dans le fond de son shako, sous son mouchoir. C'était très bon, disait-il, les omelettes avec les œufs d'oiseau. Rosalie jeta cette horreur, mais elle garda le nid, qui alla rejoindre les baguettes. D'ailleurs, il avait toujours ses poches pleines à crever. Il en tirait des curiosités, des cailloux transparents, pris au bord de la Seine, d'anciennes ferrures, des baies sauvages qui se séchaient, des débris méconnaissables dont les chiffonniers n'avaient pas voulu. Sa passion était surtout les images. Le long des routes, il ramassait les papiers qui avaient enveloppé du chocolat ou des savons, et sur lesquels on voyait des nègres et des palmiers, des almées et des bouquets de roses. Les dessus des vieilles bottes crevées, avec des dames blondes et rêveuses, les gravures vernies et le papier d'argent des sucres de pomme, jetés dans les foires des environs, étaient ses grandes trouvailles, qui lui gonflaient le cœur. Tout ce butin disparaissait dans ses poches ; il enveloppait d'un bout de journal les plus beaux morceaux. Et, le dimanche, quand Rosalie avait un moment à perdre, entre une sauce et un rôti, il lui montrait ses images. C'était pour elle, si elle voulait ; seulement, comme le papier, autour, n'était pas toujours propre, il découpait les images, ce qui l'amusait beaucoup. Rosalie se fâchait, des brins de papier s'envolaient jusque dans ses plats ; et il fallait voir avec quelle malice de paysan, tirée de loin, il finissait par s'emparer de ses ciseaux. Parfois, pour se débarrasser de lui, elle les lui donnait brusquement.

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