Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°957)

Partie : Partie 2, chapitre V

Puis, lorsque d'un suprême effort elle avait chassé la vision, elle la voyait se reformer plus lointaine, lentement grossie ; et c'était de nouveau Henri qui la poursuivait dans la salle à manger, avec les mêmes mots : " Je vous aime... Je vous aime ", dont la répétition prenait en elle la sonorité continue d'une cloche. Elle n'entendait plus queces mots vibrant à toute volée dans ses membres. Cela lui brisait la poitrine. Cependant, elle voulait réfléchir, elle s'efforçait encore d'échapper à l'image d'Henri. Il avait parlé, jamais elle n'oserait le revoir face à face. Sa brutalité d'homme venait de gâter leur tendresse. Et elle évoquait les heures où il l'aimait sans avoir la cruauté de le dire, ces heures passées au fond du jardin, dans la sérénité du printemps naissant. Mon Dieu ! il avait parlé ! Cette pensée s'entêtait, devenait si grosse et si lourde, qu'un coup de foudre détruisant Paris devant elle ne lui aurait pas paru d'une égale importance. C'était, dans son cœur, un sentiment de protestation indignée, d'orgueilleuse colère, mêlé à une sourde et invincible volupté qui lui montait des entrailles et la grisait. Il avait parlé et il parlait toujours, il surgissait obstinément, avec ces paroles brûlantes : " Je vous aime... Je vous aime... ", qui emportaient toute sa vie passée d'épouse et de mère.

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