Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°959)

Partie : Partie 2, chapitre V

On n'apercevait plus, tout au fond, qu'une barre de nuages, qui entassaient un écroulement de rochescrayeuses. Maintenant, dans l'air pur, d'un bleu intense, passaient seulement des vols légers de nuées blanches, nageant avec lenteur, ainsi que des flottilles de voiles que le vent gonflait. Au nord, sur Montmartre, il y avait un réseau d'une finesse extrême, comme un filet de soie pâle tendu là, dans un coin du ciel, pour quelque pêche de cette mer calme. Mais, au couchant, vers les coteaux de Meudon qu'Hélène ne pouvait voir, une queue de l'averse devait encore noyer le soleil, car Paris, sous l'éclaircie, restait sombre et mouillé, effacé dans la buée des toits qui séchaient. C'était une ville d'un ton uniforme, du gris bleuâtre de l'ardoise, que les arbres tachaient de noir, très distincte cependant, avec les arêtes vives et les milliers de fenêtres des maisons. La Seine avait l'éclat terni d'un vieux lingot d'argent. Aux deux bords, les monuments semblaient badigeonnés de suie ; la tour Saint-Jacques, comme mangée de rouille, dressait son antiquaille de musée, tandis que le Panthéon, au-dessus du quartier assombri qu'il surmontait, prenait un profil de catafalque géant. Seul, le dôme des Invalides gardait des lueurs dans ses dorures ; et l'on eût dit des lampes allumées en plein jour, d'une mélancolie rêveuse au milieu du deuil crépusculaire qui drapait la cité. Les plans manquaient ; Paris, voilé d'un nuage, se charbonnait sur l'horizon, pareil à un fusain colossal et délicat, très vigoureux sous le ciel limpide.

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