Une page d'amour

Une page d'amour (paragraphe n°963)

Partie : Partie 2, chapitre V

Cependant, au fond d'elle, une grande tristesse pleurait. C'était un serrement intérieur, avec une sensation de vide et de noir. Alors, elle plaida. N'était-elle pas libre ? En aimant Henri, elle ne trompait personne, elle disposait comme il lui plaisait de ses tendresses. Puis, tout ne l'excusait-il pas ? Quelle était sa vie depuis près de deux ans ? Elle comprenait que toutl'avait amollie et préparée pour la passion, son veuvage, sa liberté absolue, sa solitude. La passion devait couver en elle, pendant les longues soirées passées entre ses deux vieux amis, l'abbé et son frère, ces hommes simples dont la sérénité la berçait ; elle couvait, lorsqu'elle s'enfermait si étroitement, hors du monde, en face de Paris grondant à l'horizon ; elle couvait, chaque fois qu'elle s'était accoudée à cette fenêtre, prise d'une de ces rêveries qu'elle ignorait autrefois, et qui, peu à peu, la rendaient si lâche. Et un souvenir lui vint, celui de cette claire matinée de printemps, avec la ville blanche et nette comme sous un cristal, un Paris tout blond d'enfance, qu'elle avait si paresseusement contemplé, étendue dans sa chaise longue, un livre tombé sur ses genoux. Ce matin-là, l'amour s'éveillait, à peine un frisson qu'elle ne savait comment nommer et contre lequel elle se croyait bien forte. Aujourd'hui, elle était à la même place, mais la passion victorieuse la dévorait, tandis que, devant elle, un soleil couchant incendiait la ville. Il lui semblait qu'une journée avait suffi, que c'était là le soir empourpré de ce matin limpide, et elle croyait sentir toutes ces flammes brûler dans son cœur.

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