Germinal – 1459

Ce fut au Bon-Joyeux, chez la veuve Désir, qu’on organisa la réunion privée, pour le jeudi, à deux heures. La veuve, outrée des misères qu’on faisait à ses enfants, les charbonniers, ne décolérait plus, depuis surtout que son cabaret se vidait. Jamais grève n’avait eu moins soif, les soûlards s’enfermaient chez eux, par crainte de désobéir au mot d’ordre de sagesse. Aussi Montsou, qui grouillait de monde les jours de ducasse, allongeait-il sa large rue, muette et morne, d’un air de désolation. Plus de bière coulant des comptoirs et des ventres, les ruisseaux étaient secs. Sur le pavé, au débit Casimir et à l’estaminet du Progrès, on ne voyait que les faces pâles des cabaretières interrogeant la route ; puis, dans Montsou même, toute la ligne s’étendait déserte, de l’estaminet Lenfant à l’estaminet Tison, en passant par l’estaminet Piquette et le débit de La Tête-Coupée ; seul l’estaminet Saint-Eloi, que des porions fréquentaient, versait encore quelques chopes ; et la solitude gagnait jusqu’au Volcan, dont les darses chômaient, faute d’amateurs, bien qu’elles eussent baissé leur prix de dix sous à cinq sous, vu la rigueur des temps. C’était un vrai deuil qui crevait le cœur du pays entier.