Germinal – 1489

C’était, de son côté, une confession. Il se raillait de ses illusions de néophyte, de son rêve religieux d’une cité où la justice allait régner bientôt, entre les hommes devenus frères. Un bon moyen vraiment, se croiser les bras et attendre, si l’on voulait voir les hommes se manger entre eux jusqu’à la fin du monde, comme des loups. Non ! il fallait s’en mêler, autrement l’injustice serait éternelle, toujours les riches suceraient le sang des pauvres. Aussi ne se pardonnait-il pas la bêtise d’avoir dit autrefois qu’on devait bannir la politique de la question sociale. Il ne savait rien alors, et depuis il avait lu, il avait étudié. Maintenant, ses idées étaient mûres, il se vantait d’avoir un système. Pourtant, il l’expliquait mal, en phrases dont la confusion gardait un peu de toutes les théories traversées et successivement abandonnées. Ausommet, restait debout l’idée de Karl Marx : le capital était le résultat de la spoliation, le travail avait le devoir et le droit de reconquérir cette richesse volée. Dans la pratique, il s’était d’abord, avec Proudhon, laissé prendre par la chimère du crédit mutuel, d’une vaste banque d’échange, qui supprimait les intermédiaires ; puis, les sociétés coopératives de Lassalle, dotées par l’Etat, transformant peu à peu la terre en une seule ville industrielle, l’avaient passionné, jusqu’au jour où le dégoût lui en était venu, devant la difficulté du contrôle ; et il en arrivait depuis peu au collectivisme, il demandait que tous les instruments du travail fussent rendus à la collectivité. Mais cela demeurait vague, il ne savait comment réaliser ce nouveau rêve, empêché encore par les scrupules de sa sensibilité et de sa raison, n’osant risquer les affirmations absolues des sectaires. Il en était simplement à dire qu’il s’agissait de s’emparer du gouvernement, avant tout. Ensuite, on verrait.