Germinal – 1773

Des huées s’élevaient, et l’on fut surpris d’apercevoir, debout sur le tronc, le père Bonnemort en train de parler au milieu du vacarme. Jusque-là, Mouque et lui s’étaient tenus absorbés, dans cet air qu’ils avaient de toujours réfléchir à des choses anciennes. Sans doute il cédait à une de ces crises soudaines de bavardage, qui, parfois, remuaient en lui le passé, si violemment, que des souvenirs remontaient et coulaient de ses lèvres, pendant des heures. Un grand silence s’était fait, on écoutait ce vieillard, d’une pâleur de spectre sous la lune ; et, comme il racontait des choses sans liens immédiats avec la discussion, de longues histoires que personne ne pouvait comprendre, le saisissement augmenta. C’était de sa jeunesse qu’il causait, il disait la mort de ses deux oncles écrasés au Voreux, puis il passait à la fluxion de poitrinequi avait emporté sa femme. Pourtant, il ne lâchait pas son idée : ça n’avait jamais bien marché, et ça ne marcherait jamais bien. Ainsi, dans la forêt, ils s’étaient réunis cinq cents, parce que le roi ne voulait pas diminuer les heures de travail ; mais il resta court, il commença le récit d’une autre grève : il en avait tant vu ! Toutes aboutissaient sous ces arbres, ici au Plan-des-Dames, là-bas à la Charbonnerie, plus loin encore vers le Saut-du-Loup. Des fois il gelait, des fois il faisait chaud. Un soir, il avait plu si fort, qu’on était rentré sans avoir rien pu se dire. Et les soldats du roi arrivaient, et ça finissait par des coups de fusil.