Germinal – 2306

Dès le cinquième jour, Etienne n’alluma plus que pour manger. Les morceaux ne passaient pas, lorsqu’il les avalait dans la nuit. Cette nuit interminable, complète, toujours du même noir, était sa grande souffrance. Il avait beau dormir en sûreté, être pourvu de pain, avoir chaud, jamais la nuit n’avait pesé si lourdement à son crâne. Elle lui semblait être comme l’écrasement même de ses pensées. Maintenant, voilà qu’il vivait de vols ! Malgré ses théories communistes, les vieux scrupules d’éducation se soulevaient, il se contentait de pain sec, rognait sa portion. Mais comment faire ? il fallait bien vivre, sa tâche n’était pas remplie. Une autre honte l’accablait, le remords de cette ivresse sauvage, du genièvre bu dans le grand froid, l’estomac vide, et qui l’avait jeté sur Chaval, armé d’un couteau. Cela remuait en lui tout un inconnu d’épouvante, le mal héréditaire, la longue hérédité de saoulerie, ne tolérant plus une goutte d’alcool sans tomberà la fureur homicide. Finirait-il donc en assassin ? Lorsqu’il s’était trouvé à l’abri, dans ce calme profond de la terre, pris d’une satiété de violence, il avait dormi deux jours d’un sommeil de brute, gorgée, assommée ; et l’écœurement persistait, il vivait moulu, la bouche amère, la tête malade, comme à la suite de quelque terrible noce. Une semaine s’écoula ; les Maheu, avertis, ne purent envoyer une chandelle : il fallut renoncer à voir clair, même pour manger.