Germinal – 2313

Mais Etienne, la nuit suivante, désespéra de nouveau. La Compagnie avait les reins trop forts pour qu’on les lui cassât si aisément : elle pouvait perdre des millions, ce serait plus tard sur les ouvriers qu’elle les rattraperait, en rognant leur pain. Cette nuit-là, ayant poussé jusqu’à Jean-Bart, il devina la vérité, quand un surveillant lui conta qu’on parlait de céder Vandame à Montsou. C’était, disait-on, chez Deneulin, une misère pitoyable, la misère des riches, le père malade d’impuissance, vieilli par le souci de l’argent, les filles luttant au milieu des fournisseurs, tâchant de sauver leurs chemises. On souffrait moins dans les corons affamés que dans cette maison de bourgeois, où l’on se cachait pour boire de l’eau. Le travail n’avait pas repris à Jean-Bart, et il avait fallu remplacer la pompe de Gaston-Marie ; sans compter que, malgré toute la hâte mise, un commencement d’inondation s’était produit, qui nécessitait de grandes dépenses. Deneulin venait de risquer enfin sa demande d’un emprunt de cent mille francs aux Grégoire, dont le refus, attendu d’ailleurs, l’avait achevé : s’ils refusaient, c’était par affection, afin de lui éviter une lutte impossible ; et ils lui donnaient le conseil de vendre. Il disait toujours non, violemment. Cela l’enrageait de payer les frais de la grève, il espérait d’abord en mourir, le sang à la tête, le cou étranglé d’apoplexie. Puis, que faire ? il avait écouté les offres. On le chicanait, on dépréciait cette proie superbe, ce puits réparé, équipé à neuf, où lemanque d’avances paralysait seul l’exploitation. Bien heureux encore s’il en tirait de quoi désintéresser ses créanciers. Il s’était, pendant deux jours, débattu contre les régisseurs campés à Montsou, furieux de la façon tranquille dont ils abusaient de ses embarras, leur criant jamais, de sa voix retentissante. Et l’affaire en restait là, ils étaient retournés à Paris attendre patiemment son dernier râle. Etienne flaira cette compensation aux désastres, repris de découragement devant la puissance invincible des gros capitaux, si forts dans la bataille, qu’ils s’engraissaient de la défaite en mangeant les cadavres des petits, tombés à leur côté.