Germinal – 2647

Sous cette rafale de pierres, la petite troupe disparaissait. Heureusement, elles tapaient trop haut, le mur en était criblé. Que faire ? l’idée de rentrer, de tourner le dos, empourpra un instant le visage pâle du capitaine ; mais ce n’était même plus possible, on les écharperait, au moindre mouvement. Une brique venait de briser la visière de son képi, des gouttes de sang coulaient de son front. Plusieurs de ses hommes étaient blessés ; et il les sentait hors d’eux, dans cet instinct débridé de la défense personnelle, où l’on cesse d’obéir aux chefs. Le sergent avait lâché un nom de Dieu ! l’épaule gauche à moitié démontée, la chair meurtrie par un choc sourd, pareil à un coup de battoir dans du linge. Eraflée à deux reprises, la recrue avait un pouce broyé,tandis qu’une brûlure l’agaçait au genou droit : est-ce qu’on se laisserait embêter longtemps encore ? Une pierre ayant ricoché et atteint le vieux chevronné sous le ventre, ses joues verdirent, son arme trembla, s’allongea, au bout de ses bras maigres. Trois fois, le capitaine fut sur le point de commander le feu. Une angoisse l’étranglait, une lutte interminable de quelques secondes heurta en lui des idées, des devoirs, toutes ses croyances d’homme et de soldat. La pluie des briques redoublait, et il ouvrait la bouche, il allait crier : Feu ! lorsque les fusils partirent d’eux -mêmes, trois coups d’abord, puis cinq, puis un roulement de peloton, puis un coup tout seul, longtemps après, dans le grand silence.