Germinal – 2662

Aussi, dès le mercredi matin, vit-on débarquer à Montsou trois des régisseurs. La petite ville, qui n’avait osé jusque-là se réjouir du massacre, le cœur malade,respira et goûta la joie d’être enfin sauvée. Justement, le temps s’était mis au beau, un clair soleil, un de ces premiers soleils de février dont la tiédeur verdit les pointes des lilas. On avait rabattu toutes les persiennes de la Régie, le vaste bâtiment semblait revivre ; et les meilleurs bruits en sortaient, on disait ces messieurs très affectés par la catastrophe, accourus pour ouvrir des bras paternels aux égarés des corons. Maintenant que le coup se trouvait porté, plus fort sans doute qu’ils ne l’eussent voulu, ils se prodiguaient dans leur besogne de sauveurs, ils décrétaient des mesures tardives et excellentes. D’abord, ils congédièrent les Borains, en menant grand tapage de cette concession extrême à leurs ouvriers. Puis, ils firent cesser l’occupation militaire des fosses, que les grévistes écrasés ne menaçaient plus. Ce furent eux encore qui obtinrent le silence, au sujet de la sentinelle du Voreux disparue : on avait fouillé le pays sans retrouver ni le fusil ni le cadavre, on se décida à porter le soldat déserteur, bien qu’on eût le soupçon d’un crime. En toutes choses, ils s’efforcèrent ainsi d’atténuer les événements, tremblant de la peur du lendemain, jugeant dangereux d’avouer l’irrésistible sauvagerie d’une foule, lâchée au travers des charpentes caduques du vieux monde. Et, d’ailleurs, ce travail de conciliation ne les empêchait pas de conduire à bien les affaires purement administratives ; car on avait vu Deneulin retourner à la Régie, où il se rencontrait avec monsieur Hennebeau. Les pourparlers continuaient pour l’achat de Vandame, on assurait qu’il allait accepter les offres de ces messieurs.