Germinal – 501

En ces années-là, le baron possédait la Piolaine, d’où dépendaient trois cents hectares, et il avait à son service, comme régisseur, Honoré Grégoire, un garçon de la Picardie, l’arrière-grand-père de Léon Grégoire, père de Cécile. Lors du traité de Montsou, Honoré, qui cachait dans un bas une cinquantaine de mille francs d’économies, céda en tremblant à la foi inébranlable deson maître. Il sortit dix mille livres de beaux écus, il prit un denier, avec la terreur de voler ses enfants de cette somme. Son fils Eugène toucha en effet des dividendes fort minces ; et, comme il s’était mis bourgeois et qu’il avait eu la sottise de manger les quarante autres mille francs de l’héritage paternel dans une association désastreuse, il vécut assez chichement. Mais les intérêts du denier montaient peu à peu, la fortune commença avec Félicien, qui put réaliser un rêve dont son grand-père, l’ancien régisseur, avait bercé son enfance : l’achat de la Piolaine démembrée, qu’il eut comme bien national, pour une somme dérisoire. Cependant, les années qui suivirent furent mauvaises, il fallut attendre le dénouement des catastrophes révolutionnaires, puis la chute sanglante de Napoléon. Et ce fut Léon Grégoire qui bénéficia, dans une progression stupéfiante, du placement timide et inquiet de son bisaïeul. Ces dix pauvres mille francs grossissaient, s’élargissaient, avec la prospérité de la Compagnie. Dès 1820, ils rapportaient cent pour cent, dix mille francs. En 1844, ils en produisaient vingt mille ; en 1850, quarante. Il y avait deux ans enfin, le dividende était monté au chiffre prodigieux de cinquante mille francs : la valeur du denier, côté à la Bourse de Lille un million, avait centuplé en un siècle.