Germinal – 903

Etienne avait fait la connaissance de Souvarine, en vivant là, côte à côte. C’était un machineur du Voreux, qui occupait en haut la chambre meublée, voisine de la sienne. Il devait avoir une trentaine d’années, mince, blond, avec une figure fine, encadrée de grands cheveux et d’une barbe légère. Ses dents blanches et pointues, sa bouche et son nez minces, le rose de son teint lui donnaient un air de fille, un air de douceur entêtée, que le reflet gris de ses yeux d’acier ensauvageait par éclairs. Dans sa chambre d’ouvrier pauvre, il n’avait qu’une caisse de papiers et de livres. Il était russe, ne parlait jamais de lui, laissait courir des légendes sur son compte. Les houilleurs, très défiants devant les étrangers, le flairant d’une autre classe à ses mains petites de bourgeois, avaient d’abord imaginé une aventure, un assassinat dont il fuyait le châtiment. Puis, il s’était montré si fraternel pour eux, sans fierté, distribuant à la marmaille du coron tous les sous de ses poches, qu’ils l’acceptaient à cette heure, rassurés par le mot de réfugié politique quicirculait, mot vague où ils voyaient une excuse, même au crime, et comme une camaraderie de souffrance.