La Débâcle – 1015

Il était neuf heures, la nuit menaçait d’être glaciale, car des brumes étaient montées de la Meuse, cachant les étoiles. Et Maurice, couché près de Jean, au pied d’une haie, frissonna, en disant qu’on ferait bien d’aller s’allonger sous la tente. Mais, brisés, plus courbaturés encore, depuis le repos qu’ils avaient pris, ni l’un ni l’autre ne pouvait dormir. A côté d’eux, ils enviaient le lieutenant Rochas, qui, dédaigneux de tout abri, simplement enveloppé d’une couverture, ronflait en héros, sur la terre humide. Longtemps, ensuite, ils s’intéressèrent à la petite flamme d’une bougie, qui brûlait dans une grande tente, où veillaient le colonel et quelques officiers. Toute la soirée, monsieur de Vineuil avait paru très inquiet de ne pas recevoir d’ordre, pour le lendemain matin. Il sentait son régiment en l’air, trop en avant, bien qu’il eût reculé déjà, abandonnant le poste avancé, occupé le matin. Le général Bourgain-Desfeuilles n’avait pas paru, malade, disait-on, couché à l’hôtel de la Croix d’Or ; et le colonel dut se décider à lui envoyer un officier, pour l’avertir que la nouvelle position paraissait dangereuse, dans l’éparpillement du 7e corps, forcé de défendre une ligne trop étendue, de la boucle de la Meuse au bois de la Garenne. Certainement, dès le jour, la bataille serait livrée. On n’avait plus devant soi que sept ou huit heures de ce grand calme noir. Maurice fut tout étonné, comme la petite clarté s’éteignait dans la tente du colonel, de voir le capitaine Beaudoin passer près de lui, le long de la haie, d’un pas furtif, et disparaître vers Sedan.