La Débâcle – 1097

L’attaque s’annonçait terrible. Du côté des prairies, la fusillade avait cessé. Maîtres d’un ruisseau étroit, bordé de peupliers et de saules, les Bavarois s’apprêtaient à donner l’assaut aux maisons qui défendaient la place de l’Eglise ; et leurs tirailleurs s’étaient prudemment repliés, le soleil seul dormait en nappe d’or sur le déroulement immense des herbes, que tachaient quelques masses noires, les corps des soldats tués. Aussi le lieutenant venait-il de quitter la cour de la teinturerie, en y laissant une sentinelle, comprenant que, désormais, le danger allait être du côté de la rue. Vivement, il rangea ses hommes le long du trottoir, avec l’ordre, si l’ennemi s’emparait de la place, de se barricader au premier étage du bâtiment, et de s’y défendre, jusqu’à la dernière cartouche. Couchés par terre, abrités derrière les bornes, profitant des moindres saillies, les hommes tiraient à volonté ; et c’était, le long de cette large voie, ensoleillée et déserte, un ouragan de plomb, des rayures de fumée, comme une averse de grêle chassée par un grand vent. On vit une jeune fille traverser la chaussée d’une course éperdue, sans être atteinte. Puis, un vieillard, un paysan vêtu d’une blouse, qui s’obstinait à faire rentrer son cheval à l’écurie, reçut une balle en plein front, et d’un telchoc, qu’il en fut projeté au milieu de la route. La toiture de l’église venait d’être défoncée par la chute d’un obus. Deux autres avaient incendié des maisons, qui flambaient dans la lumière vive, avec des craquements de charpente. Et cette misérable Françoise broyée près de son enfant malade, ce paysan avec une balle dans le crâne, ces démolitions et ces incendies achevaient d’exaspérer les habitants qui avaient mieux aimé mourir là que de se sauver en Belgique. Des bourgeois, des ouvriers, des gens en paletot et en bourgeron tiraient rageusement par les fenêtres.