La Débâcle – 112

Gaude, brusquement, sonna à la distribution, et Loubet s’étonna. Quoi ? qu’y avait-il ? était-ce le poulet qu’il avait promis la veille à Lapoulle ? Né dans les Halles, rue de la Cossonnerie, fils de hasard d’une marchande au petit tas, engagé ” pour des sous ”, comme il disait, après avoir fait tous les métiers, il était le fricoteur, le nez tourné continuellement à la friandise. Et il alla voir, pendant que Chouteau, l’artiste, le peintre en bâtiments de Montmartre, bel homme et révolutionnaire, furieux d’avoir été rappelé après son temps fini, blaguait férocement Pache, qu’il venait de surprendre en train de faire sa prière, à genoux derrière la tente. En voilà un calotin ! est-ce qu’il ne pouvait pas lui demander cent mille livres de rente, à son bon Dieu ? Mais Pache, arrivé d’un village perdu de la Picardie, chétif et la tête en pointe, se laissait plaisanter, avec la douceur muette des martyrs. Il était le souffre-douleur de l’escouade, en compagnie de Lapoulle, le colosse, la brute poussée dans les marais de la Sologne, si ignorant de tout, que, le jourde son arrivée au régiment, il avait demandé à voir le roi. Et, bien que la nouvelle désastreuse de Frœschwiller circulât depuis le lever, les quatre hommes riaient, faisaient avec leur indifférence de machine les besognes accoutumées.