La Débâcle – 1145

Les cent mille hommes et les cinq cents canons de l’armée française étaient là, entassés et traqués dans ce triangle ; et, lorsque le roi de Prusse se tournait vers l’ouest, il apercevait une autre plaine, celle de Donchery, des champs vides s’élargissant vers Briancourt, Marancourt et Vrignes-aux-Bois, tout un infini de terres grises, poudroyant sous le ciel bleu ; et, lorsqu’il se tournait vers l’est, c’était aussi, en face des lignes françaises si resserrées, une immensité libre, un pullulement de villages, Douzy et Carignan d’abord, ensuite en remontant Rubécourt, Pourru-aux-Bois, Francheval, Villers-Cemay, jusqu’à la Chapelle, près de la frontière. Tout autour, la terre lui appartenait, il poussait à son gré les deux cent cinquante mille hommes et les huit cents canons de ses armées, il embrassait d’unseul regard leur marche envahissante. Déjà, d’un côté le XIe corps s’avançait sur Saint-Menges, tandis que le Ve était à Vrignes-aux-Bois et que la division wurtembergeoise attendait près de Donchery ; et, de l’autre côté, si les arbres et les coteaux le gênaient, il devinait les mouvements, il venait de voir le XIIe corps pénétrer dans le bois Chevalier, il savait que la garde devait avoir atteint Villers-Cemay. C’étaient les branches de l’étau, l’armée du prince royal de Prusse à gauche, l’armée du prince royal de Saxe à droite, qui s’ouvraient et montaient, d’un mouvement irrésistible, pendant que les deux corps bavarois se ruaient sur Bazeilles.