La Débâcle – 1206

Tout de suite, un ordre étant enfin arrivé, le bataillon se porta en avant. De nouveaux flots de brume devaient monter de la Meuse, car on marchait presque à tâtons, au milieu d’une sorte de rosée blanchâtre qui tombait enpluie fine. Et Maurice eut alors une vision qui le frappa, celle du colonel de Vineuil, surgissant tout d’un coup, immobile sur son cheval, à l’angle de deux routes, lui très grand, très pâle, tel qu’un marbre de la désespérance, la bête frissonnante au froid du matin, les naseaux ouverts, tournés là-bas, vers le canon. Mais, surtout, à dix pas en arrière, flottait le drapeau du régiment, que le sous-lieutenant de service tenait, sorti déjà de son fourreau, et qui, dans la blancheur molle et mouvante des vapeurs, semblait en plein ciel de rêve, une apparition de gloire, tremblante, près de s’évanouir. L’aigle dorée était trempée d’eau, tandis que la soie des trois couleurs, où se trouvaient brodés des noms de victoire, pâlissait, enfumée, trouée d’anciennes blessures ; et il n’y avait guère que la croix d’honneur, attachée à la cravate, qui mit dans tout cet effacement l’éclat vif de ses branches d’émail.