La Débâcle – 133

En avant, était parti l’état-major, au grand trot, poussant de l’éperon les montures, dans la crainte d’être devancé et de trouver déjà les Prussiens à Altkirch. Le général Bourgain-Desfeuilles, qui prévoyait une étape dure, avait eu la précaution de traverser Mulhouse, pour y déjeuner copieusement, en maugréant de la bousculade. Et Mulhouse, sur le passage des officiers, était désolé ; les habitants, à l’annonce de la retraite, sortaient dans les rues, se lamentaient du brusque départ de ces troupes, dont ils avaient si instamment imploré la venue : on les abandonnait donc, les richesses incalculables entassées dans la gare allaient-elles être laissées à l’ennemi, leur ville elle-même devait-elle, avant le soir, n’être plus qu’une ville conquise ? Puis, le long des routes, au travers des campagnes, les habitants des villages, des maisons isolées, s’étaient eux aussi plantés devant leur portes, étonnés effarés. Eh quoi ! ces régiments qu’ils avaient vus passer la veille, marchant au combat, se repliaient, fuyaient sans avoir combattu ! Les chefs étaient sombres, hâtaient leurs chevaux, sans vouloir répondre aux questions, comme si le malheur eût galopé à leurs trousses. C’était donc vrai que les Prussiens venaient d’écraser l’armée, qu’ils coulaient de toutes parts en France, comme la crue d’un fleuve débordé ? Et déjà, dans l’air muet, les populations, gagnées par la paniquemontante, croyaient entendre le lointain roulement de l’invasion, grondant plus haut de minute en minute ; et déjà, des charrettes s’emplissaient de meubles, des maisons se vidaient, des familles se sauvaient à la file par les chemins, où passait le galop d’épouvante.