La Débâcle – 1446

Tout de suite, il fut un peu rassuré. Le combat avait lieu par-dessus la ville, les batteries allemandes de la Marfée et de Frénois allaient, au-delà des maisons, balayer le plateau de l’Algérie ; et il s’intéressa même au vol des obus, à la courbe immense de légère fumée qu’ils laissaient sur Sedan, pareils à des oiseaux invisibles au fin sillage de plumes grises. Il lui parut d’abord évident que les quelques obus qui avaient crevé des toitures, autour de lui, étaient des projectiles égarés. On ne bombardait pas encore la ville. Puis, en regardant mieux, il crut comprendre qu’ils devaient être des réponses aux rares coups tirés par les canons de la place. Il se tourna, examina, vers le nord, la citadelle, tout cet amas compliqué et formidable de fortifications, les pans de murailles noirâtres, les plaques vertes des glacis, unpullulement géométrique de bastions, surtout les trois cornes géantes, celle des Ecossais, du Grand Jardin et de la Rochette, aux angles menaçants ; et c’était ensuite, comme un prolongement cyclopéen, du côté de l’ouest, le fort de Nassau, que suivait le fort du Palatinat, au-dessus du faubourg du Ménil. Il en eut à la fois une impression mélancolique d’énormité et d’enfantillage. A quoi bon, maintenant, avec ces canons, dont les projectiles volaient si aisément d’un bout du ciel à l’autre ? La place, d’ailleurs, n’était pas armée, n’avait ni les pièces nécessaires, ni les munitions, ni les hommes. Depuis trois semaines à peine, le gouverneur avait organisé une garde nationale, des citoyens de bonne volonté, qui devaient servir les quelques pièces en état. Et c’était ainsi qu’au Palatinat trois canons tiraient, tandis qu’il y en avait bien une demi-douzaine à la porte de Paris. Seulement, on n’avait que sept ou huit gargousses à brûler par pièce, on ménageait les coups, on n’en lâchait qu’un par demi-heure, et pour l’honneur simplement, car les obus ne portaient pas, tombaient dans les prairies, en face. Aussi, dédaigneuses, les batteries ennemies ne répondaient-elles que de loin en loin, comme par charité.