La Débâcle – 1709

Les trompettes sonnaient, la masse s’ébranla, d’abord au trot. Prosper se trouvait au premier rang, mais presque à l’extrémité de l’aile droite. Le grand danger est au centre, où le tir de l’ennemi s’acharne d’instinct. Lorsqu’on fut sur la crête du calvaire et que l’on commença à descendre de l’autre côté, vers la vaste plaine, il aperçut très nettement, à un millier de mètres, les carrés prussiens sur lesquels on les jetait. D’ailleurs, il trottait comme dans un rêve, il avait une légèreté, un flottement d’être endormi, un vide extraordinaire de cervelle, qui le laissait sans une idée. C’était la machine qui allait, sous une impulsion irrésistible. On répétait : ” Sentez la botte ! sentez la botte ! ” pour serrer les rangs le plus possible et leur donner une résistance de granit. Puis, à mesure que le trot s’accélérait, se changeait en galop enragé, les chasseurs d’Afrique poussaient, à la mode arabe, des cris sauvages, qui affolaient leurs montures. Bientôt, ce fut une course diabolique, un traind’enfer, ce furieux galop, ces hurlements féroces, que le crépitement des balles accompagnait d’un bruit de grêle, en tapant sur tout le métal, les gamelles, les bidons, le cuivre des uniformes et des harnais. Dans cette grêle, passait l’ouragan de vent et de foudre dont le sol tremblait, laissant au soleil une odeur de laine brûlée et de fauves en sueur