La Débâcle – 2066

Mais, en entrant dans son cabinet, il eut un saisissement. Un soldat se trouvait allongé sur le canapé où le capitaine Beaudoin avait dormi pendant quelques heures, la veille ; et il ne comprit que lorsqu’il eut reconnu Maurice, le frère d’Henriette. D’autant plus que, s’étant retourné, il venait de voir, sur un tapis, enveloppé d’une couverture, un autre soldat encore, ce Jean, aperçu avant la bataille. Tous deux, écrasés, semblaient morts. Il ne s’arrêta point, alla jusqu’à la chambre de sa femme, qui était voisine. Une lampe y brûlait, sur un coin de table, au milieu d’un silence frissonnant. En travers du lit, Gilberte s’était jetée toute vêtue, dans la crainte sans doute de quelque catastrophe. Très calme, elle dormait, tandis que, près d’elle, assise sur une chaise, et la tête seulement tombée au bord du matelas, Henriette sommeillait aussi, d’un sommeil agité de cauchemars, avec de grosses larmes sous les paupières. Un moment, il les regarda, tenté de réveiller la jeune femme, pour savoir. Etait-elle allée à Bazeilles ? Peut-être, s’il l’interrogeait, lui donnerait-elle des nouvelles de sa teinturerie ? Mais une pitié lui vint, il se retirait, lorsque sa mère, silencieuse, parut sur le seuil de la porte, et lui fit signe de la suivre.