La Débâcle – 215

Dès le lendemain matin, le 106e partit un des premiers, entassé dans des wagons à bestiaux. Le wagon où se trouvait l’escouade de Jean, fut particulièrement empli, à ce point que Loubet prétendait qu’il n’avait pas la place pour éternuer. Comme les distributions, une fois de plus, venaient d’avoir lieu dans le plus grand désordre, les soldats ayant reçu en eau-de-vie ce qu’ils auraient dû recevoir en vivres presque tous étaient ivres, d’une ivresse violente et hurlante, qui se répandait en chansonsobscènes. Le train roulait, on ne se voyait plus dans le wagon, que la fumée des pipes noyait d’un brouillard ; il y régnait une insupportable chaleur, la fermentation de ces corps empilés ; tandis que, de la voiture noire et fuyante, sortaient des vociférations, dominant le grondement des roues, allant s’éteindre au loin, dans les mornes campagnes. Et ce fut seulement à Langres que les troupes comprirent qu’on les ramenait vers Paris.