Ensuite, Rose s’était répandue en détails sur l’agitation extraordinaire que la nouvelle soulevait dans la ville. A la sous-préfecture, elle avait vu des officiers qui arrachaient leurs épaulettes, en fondant en pleurs comme des enfants. Sur le pont, des cuirassiers jetaient leurs sabres à la Meuse ; et tout un régiment avait défilé, chaque homme lançait le sien, regardait l’eau jaillir, puis se refermer. Dans les rues, les soldats saisissaient leurfusil par le canon, en brisaient la crosse contre les murs ; tandis que des artilleurs, qui avaient enlevé le mécanisme des mitrailleuses, s’en débarrassaient au fond des égouts. Il y en avait qui enterraient, qui brûlaient des drapeaux. Place Turenne, un vieux sergent, monté sur une borne, insultait les chefs, les traitait de lâches, comme pris d’une folie subite. D’autres semblaient hébétés, avec de grosses larmes silencieuses. Et, il fallait bien l’avouer, d’autres, le plus grand nombre, avaient des yeux qui riaient d’aise, un allégement ravi de toute leur personne. Enfin, c’était donc le bout de leur misère, ils étaient prisonniers, ils ne se battraient plus ! Depuis tant de jours, ils souffraient de trop marcher, de ne pas manger ! D’ailleurs, à quoi bon se battre, puisqu’on n’était pas les plus forts ? Tant mieux si les chefs les avaient vendus, pour en finir tout de suite ! Cela était si délicieux, de se dire qu’on allait ravoir du pain blanc et se coucher dans des lits !